Courir. Encore et toujours, sans but apparent, mais il court quand même. Cela étant, les sentiers de Central Park étaient bien plus agréables que ceux qu’il avait pu trouver à Tokyo. Ou a Bangkok. C’était devenu un rituel depuis peu, ces joggings matinaux le maintenaient en forme et il pouvait ainsi fumer en toute tranquillité. Il savait pertinemment que ce n’était pas une demi-heure de course qui le sauverait d’un éventuel cancer, mais il avait la conscience plus tranquille ainsi. Arrivant à la fin de son parcours habituel lorsqu’il se trouvait à New-York, il se mit sur le chemin du retour. L’appartement de ses parents n’était pas loin de la sortie qu’il avait prise, il s’y rendit en quelques minutes. Arsène ne voulait néanmoins pas pousser le vice jusqu’au bout, et après avoir salué le groom, il se dirigea vers les ascenseurs qui lui tendaient les bras, pour peu qu’un ascenseur ait des bras. Il patientait, jusqu’à ce que l’engin atteigne le sixième étage. Les portes s’ouvrirent et il sortit de la cage, allant directement devant la porte. Il tambourina comme un fou sur celle-ci jusqu’à ce que sa mère lui ouvre.

Mère — « C’est bon, doucement… Si tu évitais d’oublier tes clés aussi… »
Arsène — « Je rêve ou tu viens déjà de t’en fumer un ? »

Silence. Il comprit instantanément. Contrairement à son père, Anaëlle n’avait pas su se détacher du mode de vie qu’elle avait adoré durent les sixities. Elle avait vécu comme une hippie durant une grande partie de sa jeunesse et ne comptait pas changer maintenant, sous prétexte que les joints étaient nocifs pour la santé. Arsène leva les yeux au ciel et la poussa gentiment du bras pour se faire un passage entre elle et la porte.

Mère — « Ne t’en fais pas, je n’ai pas mis de cendres sur tes magnifiques créations. »
Arsène — « J’espère bien ! Ces robes sont pour toi m’man, mais si t’en veux pas, je trouverais bien quelqu’un d’autre. »
Mère — « Aaah ! Ne crois pas te débarrasser de moi de la sorte ! Elles sont superbes mon petit ange. »

Elle lui attrapa les joues, les pinçant d’une force affective déroutante pour le jeune homme qui ôta les mains de sa mère, vexé.

Arsène — « Arrête, j’ai plus 5 ans. »
Mère — « Autant pour moi monsieur l’adulte. »

Arsène avait fêté ses 21 ans ici-même, à New-York il a de ça trois mois. Certes, il était majeur à présent, du point de vue de n’importe quel pays du globe, mais il vivait encore avec ses parents. Cela pouvait paraître ridicule pour un jeune homme comme lui, désirant plus que tout au monde vouloir habiller toutes les femmes et tous les hommes de la planète, mais il s’en moquait bien. Ce que pensaient les autres, il en avait cure et c’était pour cette raison qu’il se refusait à quitter le cocon familial qui lui apportait tant de réconfort lors des mauvais jours. Plusieurs fois, il avait confectionné des vêtements, de toutes sortes, que ce soit à sa mère ou à son père. Et il était fier de les voir les porter.
Les tous premiers pas d’Arsène dans le monde du mannequinat se firent à l’occasion d’un défilé un peu spécial, puisqu’il s’agissait de la collection de sa tante. Elle la présentait dans un hôtel de Londres, alors que le jeune homme avait 18 ans. C’était plus un service qu’autre chose, elle lui avait demandé de défiler pour elle, ne trouvant pas d’homme assez fin pour pouvoir porter ses vêtements. S’il y a bien une personne qui lui a donné goût au stylisme, c’est elle. Elle lui avait donné des cours de dessin quand il était enfant, puis elle l’avait pris un moment sous son aile, lorsque ses parents devaient voyager pour leurs affaires. C’est ainsi qu’il se passionna pour la création, plus que pour le mannequinat en lui-même. Se faire photographier à tout va, risquer de tomber du haut d’un podium ou même couper ses cheveux pour les besoins du défilé, jamais ! Il a donc choisi, en pleine conscience, un des nombreux métiers annexes, mais pas des moindres.

Second Part

Son cœur battait à tout rompre. Ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait dans les coulisses afin de préparer un défilé, mais c’était la première fois qu’une personnalité comme Romane Caranston y assistait. Arsène bénissait son père d’être parvenu à la faire venir alors qu’elle était en voyage à Las Vegas en même temps qu’eux. Ryan Rhapsody ou le dieu des PDG. Il avait toujours soutenu son fils, même après qu’il ait refusé de reprendre les rennes de l’entreprise familiale. De plus, il s’était même mis en tête de lui trouver un job dans la mode, histoire de rattraper les mois d’absence lorsqu’il était plus jeune. Il ne fut pas de tout repos de convaincre la Romane Caranston, mais il y était parvenu, lui promettant un don généreux pour son agence de mannequins. Lorsqu’il apprit la nouvelle à Arsène, ce dernier fut submergé par une vague de joie, puis de stress. Il avait beau avoir quelques vêtements de prêt, il n’allait pas lui-même les porter. Et puis, il ne voyait pas ses parents sur un podium.

Père ― « Ne t’en fais pas pour ça. Occupes toi juste de tes créations, je me charge du reste. »
Arsène ― « C’est pas méchant, mais t’y connais pas grand chose Papa. »

Il n’y avait rien à faire, son père était peut être encore plus têtu que lui, si cela était possible. A peine eut-il répondu à son fils, qu’il avait déjà quitté la pièce. Arsène se retrouvait seul avec une collection à mettre sur pied pour dans quelques heures. Il s’attela à la tâche et parvint à se dégoter un taxi assez grand pour y faire entrer ses modèles. L’agitation se faisait sentir. Il ouvrit une fenêtre, passa la tête à l’extérieur et s’alluma une cigarette en profitant d’un feu rouge. Dès la première bouffée, il sentit l’effet réconfortant de cette petite chose que l’on dit si nocive. Il se retrouva rapidement devant l’hôtel dont son père avait réservé un salon pour l’occasion. Alors qu’un portier l’aidait à emmener sa collection dans la salle prévue à cet effet, Arsène se sentait de plus en plus sous pression. Mais lorsqu’il découvrit ce que son père avait fait de ce salon, il sentit un poids s’envoler. Tout était grandiose, les éclairages, le podium, même les mannequins attendaient à la sortie des backstages. Elles s’avancèrent alors vers lui, un grand sourire aux lèvres.

Mannequin 1 ― « Vous devez être Arsène Rhapsody. Je suis Ashley et voici Mina, Lesly, Dona et Suzy. C’est votre père qui nous a contactées. »
Arsène ― « Mon… Okay, j’ai pas le temps d’aller le remercier maintenant, mais suivez moi, on a du pain sur la planche. »

Le défilé était prévu pour 20h, il ne lui restait qu’une petite heure pour tout mettre en place. Répartir les vêtements, donner son avis sur la coiffure et le maquillage, s’occuper de la musique, des éclairages. Il avait le sentiment que rien ne serait prêt en temps et en heure pour enfin décrocher un contrat avec Romane Caranston. Le temps fila à une vitesse folle, si bien qu’il n’eut pas réellement le temps de voir ce que donnaient les mannequins sur le podium, trop occupé à les superviser pour le changement en coulisses. Ce n’était pas des mannequins professionnelles, juste de magnifiques jeunes filles qui avaient tout pour l’être, mais préféraient poursuivre leurs études de droit, médecine pou psychologie. Un pot était donné peu après la fin du défilé et Arsène y fit son entrée après avoir prit le temps de tout ranger. Il fut accueillit par des applaudissements chaleureux qui le firent légèrement rougir. Romane Caranston était là, un verre à la main en train de discuter avec son père. Une fois encore, son cœur ne suivait plus. Il loupa un battement avant qu’il n’ouvre la bouche.

Arsène ― « Bonsoir Mme Caranston. C’est un honneur de vous voir ce soir. »
Romane Caranston ― « Ah, voilà le prodige. Et bien, il semblerait que vous soyez promis à un avenir prometteur. Et la Caranston Model Agency serait ravie de vous aider à y parvenir. »

Est-ce qu’il avait bien entendu ? Etait-elle en train de lui proposer de rejoindre le rang des stylistes fournit par la très célèbre agence Caranston ? Il n’en croyait pas ses oreilles. C’était là un rêve qui se réalisait et même plus. Il avait un pied sur l’escalier le menant à l’international. Sa petite renommée américaine ne lui suffisait plus, il s’attèlerait à conquérir l’Europe avec comme pied à terre, Paris.

Bonus

Il lui restait une chose à faire avant de s’installer à Paris définitivement. Ce changement radical d’environnement lui faisait un peu peur. Arsène avait donc décidé d’aller rendre visite à ses grands-parents avant de redescendre en France et de commencer sa nouvelle vie. En sortant d’Heathrow, l’aéroport londonien, il fit signe à un taxi puis lui indique cette adresse dans le centre de la capitale. Quelques dizaines de minutes plus tard, il descendit de la voiture, valises à la main, et sonna. La réponse se fit attendre, mais bien vite, la porte s’ouvrit sur un petit couple de personnes âgées. Arsène sentit l’étreinte mal assurée de ses grands-parents puis il leur sourit, heureux de les revoir depuis bien longtemps. Le début de l’après-midi fut riche en émotions. Enfin, du point de vue de personnes ayant dépassé la cinquantaine depuis quarante ans. Il ne s’ennuyait pas, il était ravi de les voir, c’est juste qu’il avait hâte d’être libéré de ses obligations pour s’installer dans l’appartement de ses parents pour les trois mois à venir. Il les quitta sur les coups de 17h, pour reprendre un second taxi qui le mena droit dans les environs de Picadilly Circus. Il arriva rapidement devant la porte de son appartement qu’il poussa impatiemment.
Après s’être délesté de ses affaires et s’être changé de tenue, il se décida à sortir, aux alentours de 22h. Un rendez-vous, dans un des nombreux bars du quartier de Soho. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas eu l’occasion de revoir Lune, alors il sauta sur l’occasion et lui demanda de le retrouver dans un bar pour passer une soirée sympathique. Il ne s’était jamais rien passé d’ambigüe entre eux et Arsène se demandait vraiment comment il devait le prendre. Lui qui n’avait d’habitude aucune difficulté à mettre la personne sur laquelle il jetait son dévolu dans son lit. Mais il lui avait résisté et Arsène s’était attaché. Il avait hâte de le voir.
La soirée se déroula à merveille. La suivante également. Et toutes les autres pareillement. Arsène ne se lassait pas de lui, contrairement à toutes ses anciennes conquêtes, femme et homme confondus. Cela était bien un signe non ? Ou bien il se faisait encore des idées, cela lui arrivait aussi parfois. Ce qui devait arriver, arriva, pour le plus grand plaisir d’Arsène. Mais si seulement cela avait pu durer un peu plus longtemps.


Seule page de journal intime qu’Arsène n’ait jamais écrite :
« Tout est parti de travers. Je ne comprends pas encore tout à fait comment on est arrivé là. On était bien tous les deux. Un soir chez l’un, un soir chez l’autre. Tout ce qu’il y avait de plus normal. Et puis ses parents ont débarqué, au plus mauvais moment possible. Jamais je ne m’étais fait virer de cette façon. Enfin si. Mais jamais je n’avais voulu trouver un moyen pour entrer à nouveau et le retrouver. Trois petits mois de bonheur et voilà que tout s’arrêtait en quelques secondes, pour avoir été surpris par ses parents qui, de toute évidence, n’était pas au courant de son penchant sérieux pour les hommes. Je me retrouvais comme un mal propre, jeté à la rue, à moitié rhabillé. Et depuis, rien. Pas de message, pas d’appel, pas de mail. Le silence total. Je dois bien l’avouer, je suis bel et bien vexé. J’ai dû partir pour Paris sans pour autant savoir de quoi il en retournait pour Lune. Pour mon premier contact avec l’agence, on m’a donné un book, regroupant les polaroïds des mannequins disponibles. J’ai cru à une hallucination quand je l’ai vu. Pure coïncidence, mais de bonne augure. Du moins avant que mon foutu portable ne vibre et qu’il me sorte que tout était fini. Oui, je l’ai mal pris et si jamais je le revois… Je ne sais pas. Je ne sais absolument pas quoi faire. »