JUIN 1984

Des Christian Louboutin martelaient à rythme régulier le sol de marbre de la Boyd Corp. Une jeune femme aux allures impérieuse traversa d’un air solennel l’accueil de l’imposante agence sans se soucier des secrétaires qui la rappelaient vivement à l’ordre à grand renfort de « madame ». A vrai dire elle avait à peine vingt ans, mais cela personne ne s’en était jamais préoccupé. Après tout, pourquoi Dirk Boyd irait-il coucher avec un jeune mannequin fraichement sortie du berceau, lui, PDG d’une multinationale ? La jolie mais pas moins arrogante jeune femme balança d’un geste ample sa longue chevelure blonde par-dessus ses fines épaules tandis qu’elle appelait énergiquement de son doigt l’ascenseur de l’immeuble. Elle était impatiente, et surtout extrêmement préoccupée et inquiète derrière son visage de glace. « Je croyais avoir spécifié qu’on ne me dérange pas ! » Dirk Boyd, la main sur le décolleté flatteur de sa stagiaire, aperçut avec surprise des Christian Louboutin vernie claquer sur le sol de marbre de son bureau. Il attarda un bref instant son regard de givre sur les jambes interminables de sa maîtresse « favorite » avant de retirer sa main de l’encolure du chemisier de son employer. « Nous discuterons de votre cas postérieurement dans la journée mademoiselle. » La frêle jeune fille sortit sans se faire prier du bureau, passant à proximité de la belle jeune femme qui patientait sur le pas de la porte. Elles se frôlèrent fébrilement leurs épaules tandis que le regard dur et froid du mannequin fusillait celui de cette vulgaire écervelée. Elle reporta une fois la porte claquée, ses deux azurs sur son amant de dix ans son aîné, perdant soudainement de son air hautain face à lui. Il la fixait durement, il s’apprêtait à passer du bon temps avec la jolie fleur qu’il avait embauché il y a une semaine de cela, moment qui par sa faute devait être reporté à plus tard dans la journée. Dirk Boyd détestait que l’on remette en cause ce qu’il avait planifié, et il ne supportait pas devoir décaler ses rendez-vous, surement pas pour cette femme insignifiante avec qui il couchait occasionnellement, en plus de la noyer d’argent pour son silence. « Je n’ai pas vraiment le temps vois-tu, j’ai du travail alors si tu pouvais faire vite Kirsten. » La dénommée Kirsten se rapprocha un peu plus, réajustant les pans de sa jupe étroite. Elle n’osait plus poser le regard sur son amant, et pour cause car ce qu’elle allait lui annoncer risquait de lui apporter bien des complications. Dirk Boyd n’aimait pas les complications. « J’ai quelque chose d’important à te dire Dirk. » Le trentenaire laissa glisser son regard sur les courbes féminines de sa maitresse en se mordant la lèvre, peut-être que finalement cet échange allait se révéler concluant. « Dirk … je suis enceinte. » Il afficha une mine de stupeur à l’entente de ces mots. Ses doigts se crispèrent sur son stylo mont blanc, mais il tenta tant bien que mal de garder une expression neutre en fixant Kirsten qui se dressait face à lui, se triturant en ne lâchant pas son regard la fine ceinture écarlate qui encerclait sa taille de guêpe. Il haussa un sourcil en affichant une mine indifférente, se remettant à actionner frénétiquement la pointe du stylo sous sa main. « Et bien je prendrais toutes les charges qu’il faut pour te faire avorter. » Elle se mordit la lèvre aussitôt, son cœur se serrant à ses mots dans un étroit étau. Alors quoi, c’était tout ? Il pensait qu’elle jetterait ainsi son bébé à la poubelle, le fruit de leur « amour » à sens unique, certes, son enfant à lui ? Elle secoua la tête en tentant de reprendre un peu de confiance en elle, il n’était pas question qu’elle flanche sous ses exigences. « Je le garde Dirk, ma décision est prise. » « Pardon ? » « Tu as très bien entendu. Continu-t-elle en retenant sa respiration. Je le garde. » Il se leva lentement, se dirigeant d’un pas languissant vers la jeune femme qui tremblait presque en attendant de se recevoir ses paroles cassantes de vérités au visage. Elle ferma les yeux lorsqu’il approcha sa bouche à quelques centimètres de son visage, laissant son souffle chaud et âpre par quelques verres de vins s’écraser sur ses pommettes. « Et comment comptes-tu remédier à ses besoins ? Crois-tu que ton agence acceptera de te laisser un congé maternité pendant que tu élèveras seule cet enfant ? On sait tous que tu adores ce que tu fais… Tu es trop jeune et irresponsable pour t’occuper d’un autre être vivant, tu n’y arrive pas pour toi-même Kirsten. » « Peu m’importe l’agence, j’aimerais cet enfant plus que mon ancienne vie, je serais en faire le deuil. Et je ne l’élèverais pas seule étant donné que tu m’aideras Dirk, car tu es le père et que tu tiens à tes privilèges. » Il la toisa froidement. « Seraient-ce des menaces que tu me profères là ? Mais que comptes-tu faire ? » Elle ne sourit même pas, lui lançant un regard de défi, les sourcils froncés mais les mains tremblantes. « Tu tiens à ta femme, tes enfants et à l’image de ta vie privée qu’ont les médias de toi. Tu ne voudrais pas que tout cela s’entache par une sombre affaire d’adultère. Elle soupira. Tu es le père de cet enfant Dirk, alors tu m’aideras, que ce soit dans l’ombre ou non. Je ne te demande en aucun cas d’être présent pour lui, mais je n’aurais surement pas les ressources suffisantes à long termes. »Il ne répondit rien, stupéfait par tant d’audace de la part de cette jeune femme qu’il avait pêché dans le fond. Croyait-elle pouvoir le mener par le bout du nez ainsi et le plier à ses quatre volontés ? Elle ne lui laissa pourtant pas le temps de répliquer. Elle déposa ses lèvres cerise sur la joue de cet homme qu’elle aimait démesurément et s’éloigna sans se retourner vers la porte en bois massif. Elle posa sa main sur la poignée et lança par-dessus ses épaules son regard lagon vers lui, un sourire las sur les lèvres. « Réfléchis bien, je ne t’ai en aucun cas demander de combler mon cœur et celui de cet enfant. Je sais que tu n’en es pas capable. »

JUILLET 2005

Constantin soupira. Il faisait les cents pas dans l’appartement richement décoré qu’il occupait avec sa mère depuis qu’il était enfant, trainant ses boots en cuir sur le parquet fraichement ciré en secouant la tête, consterné. Il jeta un coup d’œil au verre de vin encore plein qui trônait sur la table en verre du salon. Décidément, Kirsten n’avait toujours pas décidé de faire une croix sur la boisson. D’ailleurs, cette dernière était partie il ne savait où comme à son habitude lorsqu’elle se morfondait seule dans son appartement. Sa mère n’avait jamais travaillé autre que comme mannequin et n’avait jamais réellement fait le deuil de sa carrière pourtant florissante et prometteuse. Elle lui avait mainte fois répété d’ailleurs à quel point elle s’était sacrifiée pour lui, et à quel point il ne lui rendait pas ce mérite. Il s’apprêtait à s’affaler dans le canapé derrière lui lorsqu’il entendit le bruit caractéristique de la serrure de la porte d’entrée. Ni une ni deux, il se dirigea vers Kirsten qui arrivait les bras chargés de sac, un sourire radieux aux lèvres et les joues légèrement rosées. Que lui arrivait-elle ? Il haussa un sourcil, préférant garder pour lui ce qu’il voulait lui demander pour éclaircir plutôt le mystère de sa soudaine joie. Elle lui lança un regard pétillant en saisissant ses joues entre ses doigts, déposant ses lèvres avec ardeurs sur son menton. « Constantin, mon chéri, j’ai une chose très importante à t’annoncer ! » Il écarquilla les yeux sur sa tenue. Elle avait toujours le corps de sa jeunesse et semblait vouloir absolument l’afficher. Elle ne sortait ce genre de robe de couturier seulement lors des grandes occasions … ou qu’elle voyait son père. Alors c’était donc ça, il se cachait derrière tout cela ? C’était d’autant plus compréhensible désormais. « Je suis enceinte mon lapin, tu vas avoir un petit frère ou une petite… bah, c’est quoi cette tête, tu n’es pas heureux ? » Constantin sentit sa tête tourner sous le poids de la nouvelle. Enceinte ? Se foutait-elle du monde ? Elle qui se faisait blanchir par un homme qui ne l’aimait pas, qui était tout simplement trop immature pour s’occuper de lui ? Enceinte ? « Comment peux-tu être enceinte à quarante balais ? Et de qui ? » Elle balaya l’air de sa main, ignorant ses paroles. Rien ne pouvait altérer au bonheur qu’elle ressentait. « Je n’ai pas quarante balais, comme tu dis, mais trente-neuf ans ! » Elle laissa ensuite planer un suspense ridicule, un sourire affreusement niais aux lèvres. Inutile, il avait déjà deviné. « Dirk ? Tu es enceinte de … papa ? » « Exactement mon chéri ! Je suis tellement heureuse si tu savais. Bon je suppose que Dirk va être un peu septique, mais je ne suis pas obligé de lui annoncer maintenant … » « Tu es enceinte d’un homme qui te considère comme un objet ? D’un personnage manipulateur et machiavel ? » « Tu parles là de ton géniteur, jeune homme ! » Il allait s’arracher la tête, sa mère n’était ni plus ni moins qu’une idiote écervelée et égoïste. Il avait vécu toute sa vie dans l’ombre, habillé, nourrit par un homme qui ne le considérait même pas comme un fils dans la seule crainte de voir un jour son existence dévoilé au monde, et voilà que maintenant, elle voulait renouveler l’expérience ? « Je refuse que tu donnes naissance à un gamin qui ne sera même pas heureux ! » Elle le fixa, éberluée et hagarde tandis que ses poings se serraient sous la colère. Elle en prenait conscience chaque jour, bien entendu, elle avait complètement loupé son rôle avec son fils. Elle considérait ce bébé comme une seconde chance, une issue de secours face à sa vie morose. Etait-ce si dur de comprendre ? « Tu n’as aucun ordre à me donner Constantin. J’ai toujours tout fait pour te promettre à une vie saine et heureuse, je t’ai aimé comme se devait de le faire une mère, je t’interdis d’insinuer ce genre de choses. » « C’est ce gosse ou moi maman. » Silence. « Tu ne me forceras à aucun choix Constantin … » « Alors je pars. »Il siffla ces mots entre ses dents, la toisant une dernière fois de ses iris pourtant si douces avant de s’éloigner vers le porte manteau qui meublait à lui tout seul le hall d’entrée. Il saisit sa veste de cuir sans prêter un seul intérêt aux suppliques de sa mère. « Que comptes-tu faire ? Constantin, ne part pas, me laisse pas. Elle le retint par le bras, les larmes aux yeux. Constantin. » Il plongea son regard dans le sien, tentant de faire passer toute la déception qu’il ressentait par le biais de celui-ci et tira finalement son bras vers lui, enclenchant la poignée pour quitter les lieux, laissant Kirsten sur le pas de la porte derrière lui tandis qu’il s’engouffrait dans l’ascenseur. Le jeune homme appuya son front contre le miroir qui lui faisait face, soufflant de lassitude en se mordant la joue. Sa vie, il en avait l’impression, n’était qu’une grosse blague. Vingt ans, vivant avec une mère-adolescente d’à peine le double de son âge, un verre de vin constamment aux lèvres et un père … non enfaite, il n’avait jamais eu de père. Pourtant ce soir là, lorsqu’il sortit son portable, il ne pensa qu’à lui, il fallait qu’il l’aide, qu’il assume ses conneries et qu’il l’aide à fuir son quotidien. Il composa son numéro avec difficulté à cause de ses tremblements et porta son cellulaire à l’oreiller, le souffle court. « Dirk Boyd j’écoute. » Silence.« … Allô ? Si c’est une blague je vais raccrocher. » « Non, ne raccroche pas. C’est Constantin, j'ai besoin de ton aide, de tes relations pour que tu me fasses partir étudier loin d'elle, c'est important, aide moi ... pour une fois. »

JUIN 2009

L’air échauffé des coulisses faisait perler des gouttes de sueur sur le front de Constantin. Aujourd’hui était un grand jour, il allait présenter ses créations à toute son université et à un petit gratin du monde de la mode. Il naviguait entre les portants, des pièces de sa collection sous les bras en cherchant désespérément les trois jeunes filles qu’il avait engagé en tant que mannequin. Le temps pressait et il lui en manquait énormément, tous les étudiants en liste pour le défilé se pressait pour maquiller et coiffer leurs mannequins, il était dur de se faire une place au milieu de la foule. « Enfin je vous trouves. Allez, enfilez moi ça et vite, on n’a pas de temps à perdre. »Foutu mannequins, connaissaient-elles dont le mot arriver en avance ? Il déposa rageusement ses œuvres d’arts dans leurs bras fins, leur lançant un regard mécontent avant de se retourner pour saisir la tenue avec laquelle il allait devoir défiler lui aussi. Constantin avait atterrit à Paris il y avait de cela quatre ans. Il avait rapidement réussi à intégrer une école de stylisme grâce aux relations de son père et avait aisément fait ses preuves dans le domaine grâce à son audace et son extravagance. Et il le savait, aujourd’hui beaucoup attendaient énormément de lui, il se devait de ne décevoir personnes car ce défilé pouvait être un tremplin pour son avenir professionnel. Il se déshabilla rapidement et sans pudeur, ignorant les œillades discrètes des jeunes filles et hommes de derrière les portants. Il se doutait de l’attraction qui se faisait autour de son physique, et il était fier de voir à quoi étaient prêts les gens pour son corps. Il lança un sourire charmeur à ses modèles qui avaient chacune d’entre elles acceptées de passer la journée ici après une nuit en sa compagnie, puis enfila finalement la tenue qui gisait mollement dans sa main. Il finit de se préparer durant la demi-heure qui suivit pour enfin prendre un peu son souffle, la méditation avant le grand show comme il disait. Il sentait l’adrénaline lui picoter les veines, c’était excitant. Il s’adossa sur le rebord d’une fenêtre, inaccessible pour certains mais que ses longues jambes lui permettaient d’atteindre, et croisant les bras sur sa poitrine, planta son regard sur les midinettes qui tentaient désespérément d’évacuer le stress. Il roula des yeux lorsque l’une d’elles, une brune aux yeux azurs, croisa son regard. Il l’inviterait surement plus tard, il se doutait que sa collection ferait un triomphe, et les filles il en avait l’impression tombaient aisément dans ses filets. C’était peut-être caractéristique du milieu dans lequel elles évoluaient, il n’en savait trop rien, mais il en profitait pleinement. Une jeune femme leur fit signe, le show allait bientôt commencer, déjà il entendait de derrière les fines cloisons blanches la salle qui vrombissait d’exaltation. Ce n’était pas encore son tour, il était le septième étudiant à se présenter mais des bouffées de chaleur montaient déjà en lui. C’était peut-être prétentieux de présenter soi-même ses vêtements, mais il avait tellement travaillé durant cette année sur ce projet qu’il n’avait trouvé meilleur mannequin homme que lui-même pour le représenter. Il s’apprêtait à s’avancer dans la file pour attendre son tour lorsqu’une main masculine vint rencontrer son épaule. Il se retourna, devinant aisément qui était le jeune homme, et ne fut pas surpris de découvrir face à lui un grand et beau blond, un sourire timide aux lèvres. « Bonne chance ? » Il ne tenait pas vraiment à l’embrasser devant toutes ces filles et ces hommes qui n’attendaient qu’un contact avec lui et, saisissant avec douceur le bras de son compagnon, il l’emmena dans un coin de la pièce plus retiré. « Lucjan ! Que fais-tu là ? » « Je suis venu te souhaiter bonne chance, je pensais que cela te ferait plaisir. » Il était surpris qu’il soit venu en personne dans les coulisses pour lui souhaiter simplement bonne chance. Mais il y avait un bon nombre de choses qui surprenaient Constantin car il ne savait tout simplement pas comment quelqu’un pouvait agir par amour. Il considérait le jeune homme avec qui il était officiellement comme un passe-temps. Il trouvait celui-ci agréable et restait toujours attendri par cette timidité maladive dont il faisait preuve, mais cela n’allait jamais vraiment plus loin dans ses sentiments. Il le gratifia de son habituel sourire, déposant ses lèvres sur les siennes dans un baiser avide et profond avant de se décoller de lui, se dirigeant sans un regard en arrière vers la file. Il prit son inspiration lorsque son tour vint, observant avec attention ses mannequins présenter ses tenues. Il ne fut bien entendu pas déçu d’elle, il avait vraiment trouvé les meilleures, et lorsque la jeune femme qui gérait le bon déroulement du show lui tapa sur l’épaule, il n’eut le temps de reprendre son souffle que déjà il marchait sur la scène illuminée par les projecteurs. La salle plongée dans l’obscurité grouillait pourtant de monde, des mannequins, des professeurs, des stylistes et même des employés d’agence de mannequinat. Il hésita à décocher son sourire en coin tandis qu’il rejoignait dans des pas amples et élégants le bout de la scène. Il pivota sur lui-même en embrasant rapidement l’assistance face à lui, fier de percevoir à son oreille quelques soupirs appréciateurs. Il défila une seconde fois lorsque vint le moment de clôturer le show sous les applaudissements des invités. Ils n’eurent le temps de fêter la réussite du défilé que déjà des professeurs se présentaient dans les coulisses pour féliciter avec admiration les mannequins et étudiants qui avaient participé. Le jeune Danois finit par enlever sa tenue quelques minutes d’hystérie plus tard, enfilant son jean en prenant son temps, serein. Une jeune femme aux talons aiguilles impressionnant de hauteur vint lui tapoter son épaule nue. Elle afficha une mine appréciatrice tandis qu’elle détaillait la trouvaille qu’elle venait de faire, certaine de son coup. Elle portait un tailleur clair et ses cheveux à la teinte particulièrement étrange étaient retenus dans un chignon haut. Elle lui tendit sa longue et fine main couverte de bijoux en brandissant entre les doigts de son autre main une carte de visite. « Romane Caranston. Je suis la directrice de la Caranston Models Agency et je tenais à me présenter en personne pour vous proposer une offre.» Elle lui fit un sourire entendu. « Que voulez-vous ? » « Un entretien avec vous. Vous avez un physique avantageux, vous dégagez quelque chose de remarquable et je serais ravi de vous voir parmi les mannequins de mon agence. Elle ne lui laissa pas le temps de répliquer. Voici ma carte, réfléchissez bien, on pourrait entreprendre de grandes choses tous les deux. Et au passage, très belle collection, vous êtes doué. »

NOVEMBRE 2009

« Lucjan, c'est le cinquième message que je te laisse ? Bordel, tu te fous de moi ou quoi ? Pourquoi tu fais le mort depuis une semaine, l’homme invisible, c’est ça ton trip ? Rappel-moi, je risque de perdre patience ! » Constantin raccrocha rageusement son téléphone portable. Il détestait ce genre de situation. Pourtant sa journée avait plutôt bien commencé, il avait décroché un rendez-vous avec un photographe notable et avait même séduit son attachée avant de se rendre ensuite à un casting pour un prochain défilé. Mais son « partenaire » sexuel ne répondait plus à ces appels, ce qu’il ne comprenait pas vraiment. Alors quoi, n’était-il plus satisfait ? Le danois avait pourtant fait ce qu’il fallait pour le retenir à lui et le combler. Au lit, c’était tout simplement parfait, et sur le plan sentimental il s’était arrangé pour maquiller ses ambitions face au jeune homme. Il continuait malgré ses mensonges à dormir convenablement la nuit, mais pourtant aujourd’hui les choses semblaient avoir pris une tournure qui allait en sa défaveur. Il ouvrit de nouveau le clapet de son cellulaire, appuyant d’un geste vif sur la touche du clavier qui rappela automatiquement le dernier contact.« Laissez-moi un message après le bip » Lui qui avait toujours trouvé l’accent du polonais affreusement excitant, il avait plus envie de lui arracher la langue à cet instant. « Oh, mais devine quoi ? C’est encore moi ! Écoute, je dois partir au Danemark dans environ trois heures, j’aurais voulu passer du temps avec toi avant de monter dans l’avion. RÉPOND ! » Il raccrocha une nouvelle fois en levant le visage au ciel. Merde. Il souffla une nouvelle fois le mot entre ses dents. Il pensait pouvoir se donner du courage avant de voir sa mère en la compagnie du blond, mais apparemment il allait devoir se contenter des restes. Il n’avait aucun enthousiasme à revoir Kirsten. Dirk l’avait définitivement « quitté » après qu’elle lui ait annoncé sa grossesse, et l’ancien mannequin avait finalement fait une fausse couche au bout du deuxième mois. Fuck. Il héla un taxi et s’engouffra dans le véhicule en réajustant ses wayfarer qui avaient de s’écraser sur le sol dans la précipitation. Il lui indiqua son adresse, il devait récupérer ses valises avant de quitter le pays pour une semaine. Fuck.

« Je te quitte, tu pensais que je n'apprendrais pas tes "frasques" avec les mannequins de l'agence ? T'es qu'un imbécile doublé d'un menteur, laisse moi tranquille. » Constantin resta de marbre face à l'écran de son cellulaire. Lucjan avait bel et bien mit fin à leur relation. Non pas que cela le touche réellement, mais sa fierté en prenait un coup conséquent, d'autant plus qu'il appréciait réellement les moments passés avec le jeune homme. Il soupira, tirant une latte sur sa cigarette en fixant le paysage urbain de Copenhague qui s'étalait face à lui. La nuit était déjà tombée, c'était surement le seul moment de la journée où il se sentait vraiment apaisé. Il avait l'impression lorsque l'obscurité comblait en entier le ciel que soudainement, tout prenait une autre forme. Il songea a sa relation avec le blond qui n'avait finalement pas été aussi longue qu'il l'aurait pensé. Il s'était fait prendre à son propre jeu, il avait cru qu'il pourrait manipuler le polonais, le tromper et pouvoir le garder à ses côtés durant le temps qu'il le voulait, il venait de se recevoir une belle claque dans la figure. Il songea aux défilés, aux shooting, au fait qu'ils n'auraient plus la même complicité et relation qu'auparavant, ce qui le rembrunit encore plus dans sa mauvaise humeur. Il devait bien se l'avouer, Lucjan exerçait sur lui une tension beaucoup trop importante pour être négligeable, et foi de Constantin, il ne laisserait surement pas le mannequin lui filer entre les doigts aussi facilement. Personne ne jetait Constantin par texto.